La tromperie de l’Homo Deus et la fausse promesse de l’immortalité cybernétique
Dans son Best-seller, « Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir », Yuval Noah Harari, professeur d’Histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem, écrit à propos du nouveau programme humain : “[…] à l’aube du troisième millénaire, l’humanité se réveille et découvre quelque chose d’étonnant…Au XXIe siècle, il est probable que les humains fassent le pari de l’immortalité […]”. À la suite de cette affirmation, le physicien Jorge Wagensberg, dans un article d’opinion publié en 2016 et intitulé « Peut-on vivre sans religion ? », a déclaré que « l’immortalité ici-bas est le mythe pour une nouvelle religion. Un organisme vivant est un algorithme et rien n’empêche que celui-ci persiste indéfiniment. Il ne faut même plus comprendre la réalité. Tout est lié aux données. Un bon système d’information me connaît mieux de l’extérieur que moi-même de l’intérieur. L’humanisme est mort, vive le dataïsme ».
Car, contrairement à l’humanisme classique, le progrès que représente
l’idéologie transhumaniste-posthumaniste, qui émerge comme la nouvelle utopie –
ou plutôt dystopie – de la mondialisation technologique, va de l’échelle
historique à l’évolutive, de sorte que la volonté d’amélioration de l’être
humain outrepasse le domaine social et atteint le biologique, mais depuis un
antinaturalisme bien évident.
Pour
la cosmovision transhumaniste, l’espèce humaine, si elle le décide, peut se
transcender elle-même. Pas seulement de manière sporadique, ici un individu
d’une manière, et là un autre individu d’une autre manière, mais dans son
intégrité en tant qu’humanité. De cette manière, l’Homo Deus décrit par
Harari s’avère être un « nouvel homme » auto-transcendé grâce à l’amélioration
humaine provoquée par la science et la convergence des biotechnologies
exponentielles. Selon le philosophe français Luc Ferry, l’émergence du
transhumanisme tire son origine de l’impact de la contre-culture des années
1960-70, de la critique de la modernité jusqu’aux nouveaux courants spirituels,
tous opposés à l’humanisme rationaliste occidental. Du point de vue humaniste
et républicain de Ferry, ces mouvements ont constitué les prémisses pour la
radicalisation du transhumanisme en posthumanisme, une version postmoderne qui
renonce à l’héritage philosophique et éthique de l’humanisme. Ainsi, le
transhumanisme devient donc une sorte de pensée techno-mystique et
apocalyptique. Le seul espoir de salut pour l’humanité se trouverait dans cette
autotranscendance et dans une immortalité cybernétique à partir de la
migration de l’esprit depuis notre corps biologique jusqu’à un support de
silicium, numérique ou holographique.
Il m’est arrivé d’affirmer que le transhumanisme-posthumanisme, au-delà d’un
mouvement culturel ou de pensée, y compris au-delà d’une idéologie ou d’une
utopie de substitution pour le XXIe siècle, est en réalité un néo-gnosticisme,
puisqu’il prétend construire une nouvelle « spiritualité » adaptée à
la mondialisation technologique, méprisant le corps biologique naturel de l’être
humain pour atteindre un stade « angélique » dans l’être posthumain.
À cet égard, il est proposé de dépasser les limites naturelles de l’humanité
par le biais de l’amélioration biotechnologique et, éventuellement, la
séparation de l’esprit du corps humain et sa transmigration à un nouveau
support immatériel, atteignant ainsi « l’immortalité cybernétique »,
c’est-à-dire un succédané de la vraie vie éternelle.
La destruction de la croyance en une nature humaine universelle
L’anthropologie transhumaniste est extrêmement matérialiste : l’homme ne possède
pas de corps, mais est un corps qui peut se transformer sans cesse, à
partir des technologies les plus perturbantes et les plus avancées. Pour
comprendre cette cosmovision, il peut être utile de consulter l’énoncé de Max
Tegmark, professeur de Physique à l’Institut de Technologie du Massachusetts
(MIT), dans lequel il divise le développement de la vie en trois phases à
partir de sa capacité d’auto-conception : la phase biologique, dont le hardware
et le software sont le fruit de l’évolution, par exemple les bactéries
apparues il y a environ 4 milliards d’années ; la phase culturelle de
l’espèce humaine, dont le hardware est le fruit de l’évolution mais qui
a pu concevoir une partie de son software ; et la phase technologique,
apparue à la fin du XXe siècle, qui sera capable de concevoir à la fois son hardware
et son software. Cette classification typologique contient déjà les
trois éléments distinctifs du transhumanisme : la compréhension de l’être
vivant comme un dispositif, le dépassement technologique de l’être humain et
l’autodétermination totale du sujet.
Dans son essai To Be a Machine (Être une machine), le journaliste
irlandais Mark O’Connell affirme que le transhumanisme est un mouvement de libération
de la nature et de la condition humaine. Pour les transhumanistes, la nature
n’est pas sacrée, en conséquence de quoi nous avons le devoir moral de la
transformer, à commencer par le génome humain, pour garantir un bien-être accru
et une bio-amélioration des qualités morales de la personne.
Ainsi, tant le transhumanisme que le posthumanisme placent leur foi dans les
pouvoirs de la science. Ce type de religion séculaire expose la négation de la
nature humaine selon les traditions qui dépendent, en dernière analyse, de la
vision religieuse ou spirituelle de la réalité suprasensible. C’est pourquoi
les transhumanistes préconisent le remplacement de l’homme tel qu’il est
historiquement par un homme nouveau, dont l’essence/nature a été convenablement
altérée par la volonté et la raison humaines. C’est pour cette raison que la
négation de l’existence d’une nature humaine fixe et immuable la rend
malléable, c’est-à-dire politisable. Cette négation de la religion séculaire
posthumaniste, unie à son propre idéal du nouvel homme biotechnologique, remet
tout en question et, à mon avis, nous conduit inévitablement à un effondrement
posthumain.
Le contrôle biopolitique de la condition humaine et de la vie
Nous constatons de plus en plus clairement qu’en cette deuxième décennie du
XXIe siècle, émerge un nouveau totalitarisme biopolitique mondial très
dangereux. En parallèle, comme l’affirme l’écrivain espagnol José María
Lassalle, une dictature numérique se profile à l’horizon. Nous assistons à
l’avènement du cyber-léviathan qui, selon les termes de Lassalle, fait
s’effondrer la démocratie libérale aux mains d’une imparable révolution
numérique, le nouveau techno-pouvoir des grandes entreprises.
Ainsi, le terme « biopolitique » peut être décrit comme la politique des corps,
la politique intégrale de la vie, mais aussi comme le pouvoir sur les corps, le
pouvoir sur la vie. Et en fait, à cette étape de la civilisation humaine, la
science permet d’orienter directement la politique vers l’organisation totale
de la vie, de l’origine à la mort. Ce qu’expose la biopolitique, du moins pour
le moment, ce n’est pas la concrétisation du pouvoir politique en soi pour
transformer la société dans son ensemble, mais la construction de l’identité
humaine à la carte. C’est à cela qu’elle doit probablement sa capacité de
pénétration. Ses moyens préférés sont, avec la revendication de nouveaux droits
(transgenre, transhumain, post-humain, cyborgs, trans-espèce…), l’ingénierie
éducative et la propagande soutenues par l’ingénierie médicale et génétique. Ce
biopouvoir est fondé sur une idéologie qui est davantage intéressée par la
modification de la conscience par le biais de la culture que par le changement
des structures proprement dites, comme cela apparaissait prioritaire dans les idéologies
sociales du XXe siècle.
Les nouvelles idéologies s’appuient sur des techniques liées à la biologie et,
pour être efficaces, sur l’ingénierie biologique qui remodèle la vie de l’être
humain. C’est pour cela que les « bio-idéologies » aspirent à transformer
directement la nature humaine et, dans un second temps, les structures
institutionnelles : ces dernières, dit-on, se transformeront si l’être humain
change. Exemple de « bio-idéologie totale », celui de la santé, qui recherche
le salut dans ce monde, en invertissant la finalité de la science médicale, car
elle ne lutte pas tant contre la maladie que pour la santé, par
la médicalisation de la société tout entière. Ainsi, les progrès des techniques
médicales se paient avec une augmentation du contrôle social et une diminution
globale de la joie de vivre. Cette tendance a été clairement démontrée dans la
déclaration d’urgence sur la pandémie de Covid-19. En remplacement du salut de
l’âme par la santé corporelle, la bio-idéologie incrimine la mort en cachant sa
signification humaine, comme s’il était honteux que l’homme n’ait pas encore
réussi à atteindre l’immortalité. En définitive, cette bio-idéologie alimente
le fantasme utopique d’un monde trans ou posthume peuplé d’hommes et de femmes
immortels, et qui compte déjà beaucoup d’adeptes. Toutefois, cette dystopie
basée sur le contrôle biotechnologique de la vie peut accélérer l’effondrement
des réseaux interconnectés qui soutiennent la vie humaine intelligente et
auto-consciente sur Terre.
L’espoir réel dans la nouvelle création restaurée
Bien que cela puisse sembler contradictoire, la phrase de l’Apocalypse
« un nouveau ciel et une nouvelle terre » s’ajuste très bien à la
rhétorique suscitée par l’eschatologie séculaire du posthumanisme. En effet,
cette religion séculaire qui renonce à l’éternité de l’âme incarnée dans un
corps glorifié et unifié par l’Esprit, mais qui, en revanche, mise sur
l’immortalité cybernétique de l’esprit sans corps, énonce aussi « une nouvelle
terre » sans un « nouveau ciel », ou plutôt en fusionnant
artificiellement le ciel et la terre dans un espace et un temps irréels. Dans
son objectif de créer une « nouvelle terre », le posthumanisme la suppose
habitée par une « nouvelle humanité » constituée d’hommes et de femmes dépourvus
de conscience de l’éternité. Pour y parvenir, il a besoin d’un nouvel homme,
amélioré bio-technologiquement, sans âme, produit de ce monde et lié
exclusivement à ce monde. Toutefois, cette « nouvelle terre » et cette «
nouvelle humanité » sont destinées à s’effondrer. L’être humain est mortel et
le cosmos est fini et caduc.
En revanche, dans la spiritualité chrétienne qui défend une anthropologie
intégrale de la personne humaine en communion avec le reste des êtres vivants
visibles et des êtres spirituels purs invisibles, le véritable espoir réside
dans la promesse d’une « nouvelle création restaurée » dans laquelle le nouvel
homme et la nouvelle femme christifiés atteignent l’harmonie, la perfection et
la sainteté pour laquelle ils ont été créés et vivent ainsi éternellement dans
l’amour infini de Dieu.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Cortina, Albert : Humanismo avanzado para une sociedad biotechnológica,
Teconté, Madrid, 2017.
Ferry, Luc : La révolution transhumaniste, 2017.
Harari, Yuval Noah : Homo Deus. Une brève histoire de demain, 2016.
Varela, Edgar, et al. : La marejada del posthumanismo, Programme
éditorial Université del Valle, Cali, 2020.