Etats modernes et reprise des traditions

[Mbog iyé ma kwo ma nyeé, Mbog i kwog, Mbog i n’yodag]

Le Mbog est comparé au déplacement du gorille, le Mbog chute le Mbog se relève “.

Une élite d’une civilisation accompagne son peuple dans un gouffre en son temps,  une autre élite de la même civilisation  ramène le peuple au sommet dans un cycle perpétuel.

Proverbe basaâ

De ce vaste sujet, nous nous limiterons à l’observation des Etats africains qui tirent leur origine de la conférence de Berlin en 1884, constitués du mélange d’anciens  Etats  broyés, des ethnies morcelées, des personnalités nationales reniées  parlant des langues étrangères qu’on leur a imposées dans un espace arrêté.

Autres fois assis sur un système de régulation social stable et compétant, l’extrême et surprenante barbarie de la colonisation a achevé le délabrement de la texture des sociétés africaines entamé pendant des longues nuits d’esclavage transsaharienne, transatlantique, ou de traite négrière perpétrés par une élite prédatrice. Cette barbarie a laissé derrière elle une population de victimes traumatisées, complexées, allant jusqu’à douter de la nature de leur propre état d’être humain,  mais aussi des bénéficiaires contaminés, qui ont fini par croire à  l’inégalité des races humaines marquées par la différence du taux de mélanines porté.

Les Etats modernes de l’Afrique au Sud du Sahara sont alors ceux là qui vont naître du contexte susmentionné, et donc nous voulons évaluer le niveau de reprise des traditions ancestrales qui autrefois ont été le référentiel efficace pour la bonne conduite et l’encadrement de ses populations. 

Nous n’allons pas revenir les théories des inégalités des races des célèbres idéologues comme Georg Wilhelm Friedrich HEGEL,  Joseph Arthur de GOBINEAU, et autres qui ont accompagné et justifié la bulle papale « Romanus Pontifex » du Pape Nicolas V, Tommaso Parentucelli, qui, le 08 Janvier 1454, autorisa la traite négrière. Il nous est tout de même nécessaire de rappeler pour le déplorer que l’esclavage et la colonisation sont des entreprises menées et entretenues sur les trois axes économique, intellectuel, et religieux. Depuis plus de cinq siècles, l’Afrique noire est contenu dans cet étau sans le moindre repli. Si quelque fois cette entreprise a changé de forme, le fond quant à lui est  resté pratiquement inchangé.

Sur le plan politique et économique, la gestion des structures de domination et d’exploitation du temps colonial n’a subit aucune modification du fait de la proclamation des indépendances.  Que ce soit la politique assimilationniste des français ou celle d’ « Indirect rule » des britanniques, ces structures ont même parfois été renforcées et scellées dans le cadre des traités inégaux intervenus1 entre l’ex-métropole coloniale et des équipes gouvernementales installées au pouvoir et protégées par elle pendant les indépendances. Les pays africains au dessous du Sahara ont obtenu une indépendance octroyée sans accès aux instruments de souveraineté politique et économique tel que la monnaie, le droit de vendre comme ils veulent, le droit d’exploiter leurs matières premières, le droit d’orienter son économie vers la direction qui leur convient . . . le droit de choisir ses hommes politiques le droit d’orienter sont éducation. 

Sur le plan intellectuel, les colonies d’hier restent profondément rattachées au paradigme intellectuel de leur colon qui ne se soucie pas de les enseigner que, si la science est universelle, le choix de ses orientations reste local et doit répondre aux connaissances et aux besoins inventoriés  de son environnement. Une science extérieur à un milieu ne peut lui être ni compétente ni performante. Les technologies créées par des intelligences occidentales ne peuvent en aucune manière préparer effectivement l’avenir de l’Afrique2. D’autres parts les programmes des enseignements de l’école officielle restent déterminés par la métropole, impropre et même toxique pour ces états africains modernes.

La décolonisation religieuse quant à elle n’a pas encore commencé, non seulement le taux de missionnaires étrangers  restent très dominants au sommet des institutions religieuses en Afrique, mais en plus, les religions coloniales continuent à occuper la totalité l’espace publique, tout en continuant l’œuvre de diabolisation des spiritualités traditionnelles. Les pratiques ancestrales, sur tous les plans, ne sont acceptées que si elles sont folklorisées et prêtes à amuser la galerie. Les sites et les objets sacrés sont systématiquement spoliés, confisqués, ou détruits sans concession aucune. C’est pratiquement dans la clandestinité que se pratique encore des morceaux choisis traditionnels et où se transmet les flammes ancestrales de génération en génération, pour que la lueur continue à exister, pour que l’élite qui sera appelée trouve que le feu n’est pas éteint.

C’est dans le difficile contexte social décrit ci-dessus, que de rares esprits de toutes origines, conscients de la compétence du système de régulation social élaboré par les ancêtres passés, s’investissent à se réapproprier de son héritage culturel, qui est nécessaire avant toute œuvre de décolonisation réelle. Une autre bonne tranche de population embrigadée dans le complexe contexte social ambiant, se limite à la prise de conscience de ce que le culturel constitue le terrain stratégique de la lutte de la décolonisation et du développement réel de l’Afrique. Un développement vu comme l’envers de l’enveloppement, de l’assimilation avant la digestion l’élimination et la disparition. Mais un développement comme un déploiement de ce qu’on a de stable en soit et qui épouse son environnement dans toutes ses dimensions pour évoluer    avec lui en un tout harmonieux.

La reprise des traditions, ou mieux la reconstitution du socle traditionnel dans l’espace que nous venons de présenter, passera entre autre par la  révolution de reprise en main de leur propres langues, la reconstruction des Etats culturels qui n’ont rien à voir avec les frontières coloniales, la reconstruction du patrimoine culturel, le retour de certains objets traditionnels polarisés à leur propriétaires : ces objets d’une extrême utilité qui ornent inutilement les musées d’ici et d’ailleurs, la prise en compte de l’unité culturelle de l’Afrique subsaharienne… surtout, marquer que l’indépendance et la démocratie pour les peuples africains constituent des distractions.  

N. Soho