Les Kanienkehaka et la Grande Loi de la Paix

J’ai été aimablement invitée à l’été 2020 par la Nation des Donneuses de Vie, qui regroupe des femmes de différentes origines dans le monde, constituée en accord avec le Wampum à Deux Voies étendu de la part de la Maison Longue Traditionnelle de Kahnawake, afin de leur parler de Pelle Maha et de ma demande de collaboration. Avant de débuter nos échanges, toutes les femmes se sont présentées en identifiant leurs aïeules et leur clan. Puis, selon le fonctionnement des cercles de paroles, le dialogue s’est amorcé en toute transparence et dans le respect du droit de parole. Je souligne aussi la présence à cette rencontre de Stuart Myiow, digne représentant du Clan du Loup du Conseil Traditionnel Kanienkehaka de Kahnawake et de Raymond Stone Iwaasa, agent de liaison pour le Wampum à Deux Voies, avec lequel j’ai eu de nombreux échanges. Bienvenue dans l’univers traditionnel des Kanienkehaka.

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Au Québec, tout comme au Canada, les peuples vivant sur l’ile de la Tortue (les Amériques) avant l’arrivée des Européens et l’installation subséquente des colonies, sont désignés en tant qu’autochtones. Les vocables Indiens ou Amérindiens sont maintenant délaissés. Les autochtones regroupent les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Le Québec compte onze nations autochtones. Elles vivent principalement sur des territoires désignés historiquement (héritage colonial) par le gouvernement du Canada. Le terme « nation » peut avoir différentes significations : clans, familles, communautés unis autour d’une culture, une langue et certaines traditions communes.

Qui sont les Kanienkehaka? Plus connus sous le nom de Mohawks, les Kanienkehaka font partie de la Confédération des cinq nations iroquoises (Haudenosaunee/les gens de la Maison Longue). Trois communautés sont installées en totalité ou en partie dans les terres du nord-est de l’Amérique du Nord, au Québec. Celle de Kahnawake est située au sud de Montréal, simplement séparée par le fleuve Saint-Laurent. Au Québec, il s’agit de la communauté vivant le plus près d’une grande ville, ce qui a un impact sur leur vie au quotidien et ajoute au défi de maintenir vivante leur vision traditionnelle du monde et de l’univers.

Les Kanienkehaka, comme tous les peuples autochtones du Canada, doivent composer encore aujourd’hui avec La Loi sur les Indiens (Indian Act), loi coloniale adoptée en 1876, qui a imposé notamment la mise en place d’une structure politique élective sous la forme de « conseils de bande », les seuls interlocuteurs actuellement reconnus par les diverses instances gouvernementales (mais généralement non-reconnue et désapprouvée par les chefs autochtones traditionnalistes ou héréditaires).

Nation matrilinéaire, dans laquelle chacun relève du lignage de sa mère, cette compréhension du monde est fondamentale dans leur spiritualité et mode de vie qui désignent la Femme-Ciel, la Grand-mère-Lune et la Terre-Mère à l’origine de toutes vies. On y retrouve trois clans : ceux de la Tortue, du Loup et de l’Ours. Le nouveau-né reçoit le droit de naissance (le clan) de la mère. On retrouve les clans de la Tortue, du Loup et de l’Ours dans plusieurs nations. On peut dire que ce sont des clans universels.

La matrilinéarité sensibilise à l’importance de la paix entre les nations. Elle transmet le message que la survie de tous repose sur des pratiques durables et des politiques soutenant la place primordiale de l’autorité des femmes dans la société. Cette compréhension du monde, loin d’une vision anthropocentriste et égocentrique, incite à vivre en harmonie avec toutes formes de vie. À ce titre, les cercles de paroles débutent toujours en rendant hommage aux entités qui nous guident dans la vie et nous permettent de vivre dans la paix et l’abondance, le tout éclairé par la bonne pensée ou le Bon Esprit, comme le souligne Edith Mora Castelán :

« Quand nous sommes en conseil, la bonne pensée (l’objectif de travailler ensemble pour résoudre un enjeu) mous mène à trouver les points de ralliement. Pour arriver à un accord, le Conseil permet à chacun de s’exprimer. Les divergences sont discutées jusqu’à les effacer. L’idée n’est pas de faire des concessions comme si nous nous trouvions dans une négociation avec des gagnants et des perdants. Il s’agit plutôt d’arriver ensemble à un raisonnement dans lequel nous pouvons différencier ce qui est correct de ce qui ne l’est pas, en faisant de plusieurs voix une seule voix de consensus, puisque la meilleure façon de changer ou d’adopter un comportement n’est pas par obéissance, mais plutôt parce que ça fait partie de soi. »[1]

En outre, l’histoire des « trois sœurs » m’apparaît importante comme illustration symbolique des liens qui unissent les clans et plus largement toute la communauté dans le respect de la matrilinéarité. Edith Mora Castelán mentionne à ce sujet : 

« Les Kanienkehaka disent qu’ils n’auraient pas la constitution de l’autorité matrilinéaire et de la Grande loi de la Paix si ce n’était pas du maïs, puisqu’il leur a permis de s’établir et de développer leur constitution politique qui est liée à la spirituelle.[…] Maïs est l’aînée des Trois Sœurs. Elle est née du sein de notre Terre-Mère. […] Fève est la seconde des Trois Sœurs. […] Quand Fève est mature, elle ressemble aux doigts de la main. C’est pourquoi elle représente la caresse de notre Terre-Mère. […] Finalement Courge, la plus jeune des Trois Sœurs, représente le cordon ombilical. […] Maïs, fève et courge grandissent ensemble en s’entraidant. Maïs se tient debout, fève grimpe autour et courge a de petites épines qui protègent ses sœurs des prédateurs. » [2]


[1]                                             Femme donnant naissance. (2016). Dans E. Mora Castelán & G. Cliche, Paroles de paix en terre autochtone : cultures, valeurs et traditions mohawks (p. 141). Montréal : Le Jour.

[2]                                             Les Trois Sœurs. (2016). Dans E. Mora Castelán & G. Cliche, Paroles de paix en terre autochtone : cultures, valeurs et traditions mohawks (p. 148-149). Montréal : Le Jour.