Première partie : Diagnostic

À quoi faisons-nous référence lorsque nous parlons d’effondrement global ? S’agit-il de l’effondrement soudain d’un système économique, de la civilisation technocapitaliste dans laquelle nous vivons ? S’agit-il de l’effondrement du monde moderne, de la rupture de l’humanité contemporaine, ou s’agit-il d’une « fin des temps », de l’achèvement d’une ère, celle que la tradition hindoue appelle Kali Yuga ? Une loi naturelle montre que tous les processus biologiques qui augmentent exponentiellement (comme ceux dans lesquels nous sommes plongés, à commencer par la population humaine et son économie) s’autorégulent tôt ou tard par un effondrement, qui est d’autant plus soudain que son ascension a été rapide. Et ce processus d’effondrement a déjà commencé il y a plusieurs décennies, malgré la persistance des inerties de croissance globale accélérée, comme le démontrent les rapides déclins de la diversité des langues et des espèces dans le monde, pour n’en citer que deux irréfutables. Dans cette section, le diagnostic de l’effondrement global est abordé sous différents angles qui examinent des aspects ou des dimensions que les auteurs des articles ont jugé particulièrement importants, avec la volonté d’y apporter des éclaircissements.

Nous présentons tout d’abord le diagnostic que les sciences occidentales modernes ont convenu depuis 1992 (premier Sommet de la Terre), avec des tendances non durables de plus en plus quantifiées (voir l’article Tot haurà quedat molt ben documentat (NDT : Tout aura été très bien documenté), de Fran Trabalon, publié dans le numéro 2 de Pelle Maha). Puisque le domaine de cette science se limite à la réalité empirique, tangible et mesurable, son diagnostic se concentre sur l’effondrement écologique qui affecte l’atmosphère et le climat, la biosphère, c’est-à-dire la vie sous toutes ses formes, l’hydrosphère, les océans, les rivières, les lacs et les eaux souterraines, la lithosphère, les sols et les ressources minérales, dont les plus denses et les plus sombres, à savoir les carbones et les hydrocarbures, fournissent l’énergie matérielle qui a impulsé cette civilisation. Dans ce domaine, trois crises principales sont interconnectées : environnementale, écologique et énergétique, et finalement des ressources primaires. En dépit de ce que proclame l’optimisme technocratique, le consensus scientifique fiable s’accorde sur le fait que les crises interdépendantes vont s’aggraver, que nous avons déjà initié l’effondrement écologique global, et que les changements politiques, sociaux et économiques souhaitables – si nous sommes capables de les inciter – ne pourront que limiter la sévérité et les immenses souffrances liées à un désastre mondial  jugé inexorable.

Ensuite, le diagnostic économique ne pouvait pas manquer dans une société matérialiste guidée par des indicateurs inhumains, dans laquelle les motivations d’économie technocratique sont devenues despotiques et omniprésentes jusqu’à s’imposer au bien commun dans la plupart des décisions publiques et privées. À la racine se trouve la différence entre l’économie et la chrématistique, et le fait de reconnaître comment la seconde, qui n’est autre que la cupidité démesurée de richesse, a kidnappé la première (qui, si elle évolue dans des limites éthiques, sert à satisfaire les besoins humains normaux), au travers d’instruments spéculatifs comme le taux d’usure des intérêts bancaires, la bourse spéculative, l’argent numérique, les paradis fiscaux, etc. dont l’effet conjugué a miné et détruit l’économie réelle. On se souvient que, depuis des temps immémoriaux, la chrématistique avait été considérée comme une maladie de l’âme qui, dans les sociétés contemporaines des pays technocapitalistes, a atteint des proportions épidémiques, au point que la ploutocratie a déjà réussi à concentrer plus de 99 % de la richesse mondiale aux mains de moins de 1 % de l’humanité, tandis qu’elle plongeait des centaines de millions de nos frères et sœurs dans la misère et la faim.
Le diagnostic à partir du christianisme part d’une critique des aspects superficiellement optimistes de l’humanisme chrétien qui caractérisent certaines parties de l’encyclique Laudato si’ et de l’acceptation du caractère inexorable de l’effondrement global, mais se focalise sur les aspects spirituellement favorables de l’effondrement, démontrant que l’attitude des collapsologues et l’espoir de l’eschatologie chrétienne (le Royaume de Dieu en nous) se complètent parfaitement. À partir des paroles de Jésus de Nazareth : « Et à quoi servirait-il à un homme de gagner tout le monde s’il perdait sa vie ? et quiconque voudra sauver sa vie, la perdra », il considère que l’acceptation de la plénitude du temps que nous vivons (kairós) est la grande opportunité de nous renouveler spirituellement et de nous revêtir du nouvel homme, créé à l’image de Dieu, dans la justice et la sainteté qui naissent de la vérité.

Le quatrième diagnostic développe les courants idéologiques qui émergent des anciennes colonies européennes, qui ouvrent des brèches dans la muraille du matérialisme, du rationalisme et de l’individualisme : des courants de subalternistes, ethnophilosophes et décoloniaux qui sont apparus et s’étendent sur de nombreux campus universitaires. Rassemblés, plus en profondeur encore, avec beaucoup de discrétion, une multitude de mouvements de renouveau des traditions spirituelles et de création de nouveaux espaces de fraternisation, alliances de l’esprit, où des personnes avec des affiliations religieuses très diverses, mais avec une expérience initiatique et métaphysique similaire, nous pouvons partager la sacralité commune et nous soutenir pour faire face à l’artefactolatrie et à d’autres tendances décadentes qui dominent le monde.

Le cinquième diagnostic met l’accent sur l’ampleur de la crise sanitaire mondiale dans laquelle nous vivons depuis plus d’un an, comme le symptôme sans équivoque de la rupture des équilibres écologiques autorégulateurs du réseau miraculeux de la vie sur la Terre. Il présente sept réflexions critiques sur les motivations – visibles ou cachées – de l’actuelle « plandémie », de la nécessité d’augmenter l’endettement – et par la même le pouvoir bancaire –, de celle d’augmenter le contrôle social et de réduire les libertés personnelles et collectives, à celle de progresser vers un gouvernement mondial unifié, ainsi que d’autres signes qui coïncident de plus en plus avec ceux que les traditions chrétiennes et islamiques avaient décrits, depuis des siècles, pour caractériser les temps confus et exaltés qui précèdent la venue de l’Antéchrist.

Le dernier diagnostic aborde l’un des aspects les plus sinistres : le processus de déconstruction de la nature humaine, proposé depuis une conception techno-mystique et apocalyptique, soit par la voie progressive du transhumanisme, soit par la voie radicale du posthumanisme, qui s’accordent pour prédire que les développements exponentiels et convergents des biotechnologies doivent permettre d’atteindre, avant trente ans, la dénommée « grande singularité » : la fusion de l’être humain avec les machines robotiques pour perpétuer une nouvelle « espèce améliorée » dans une « enveloppe » mécanique où celle-ci ne pourra plus être affectée par le vieillissement ou par la dégradation environnementale, et ainsi atteindre l’immortalité cybernétique dans ce monde. Le desideratum explicite de la technocratie prométhéenne qui avance vertigineusement, avec de gigantesques soutiens matériels et certaines bénédictions paradoxales d’autorités religieuses, c’est de se libérer finalement des servitudes de la condition humaine.

Ces six articles montrent l’ampleur de l’effondrement global dans lequel nous nous trouvons plongés. Nous reconnaissons toutefois que nous aurions pu aborder de nombreuses autres dimensions ou facettes de l’effondrement. Pour en citer une particulièrement importante, qu’il nous faudra peut-être traiter dans un futur, compte tenu de son immense influence : la profusion d’organisations pseudo-initiatiques et contre-initiatiques (selon la catégorisation qu’en fait René Guénon) dont beaucoup se sont déployées dans le mouvement New Age, avec une diversité de formes et de stratégies véritablement prodigieuse, qui leur a permis d’assurer une quasi-omniprésence dans le monde contemporain, des grandes organisations internationales aux communautés les plus isolées, tout en pénétrant ou en influant la plupart des organisations religieuses et spirituelles, accélérant ainsi les processus endogènes de déclin propres à l’époque que nous vivons.